jeudi 3 avril 2014

Un jour de printemps à Berlin

Voici une nouvelle dans laquelle Schneider est le narrateur. 


L'organisation du mariage me dépassait complètement. Au delà de ça : ça me mettait sur les nerfs ! Carroll me prenait carrément la tête, je ne m'investissais pas assez apparemment. Mais lorsque je donnais mon avis, l'idée était systématiquement rejetée, j'avais mauvais goût, soit disant... Très franchement j'en avais rien à foutre des fleurs, de la couleur des serviette ou des du nombre d'invités par table. Mais il m'était impossible de lui faire comprendre que je ne voulais qu'elle, dans une petite mairie d'arrondissement, sans réception, sans personne, seulement nous deux. La seule chose qui comptait était notre amour l'un pour l'autre.
La veille au soir nous nous étions une énième fois engueulés concernant je ne sait quoi pour la réception, avant de nous réconcilier sur l'oreiller. Comme toujours. Je venais de quitter l'appartement pour me rendre au studio, à pied. Il me fallait une heure pour parcourir cette distance, mais j'avais besoin de me vider l'esprit, de m'enivrer des bruit de Berlin, de l'odeur des jonquilles qui ensoleillaient les parcs, de sentir la chaleur printanière du soleil sur mon visage.
Je marchais depuis vingt minutes peut-être, j'étais dans Museumsinsel quand c'est arrivé. Au détour d'une rue quelqu'un me percuta alors qu'il était en pleine course. Le choc fut assez violent et fit voler tout autour de nous des documents que la jeune femme tenait dans les bras.
- Je suis vraiment désolée, dit-elle déjà agenouillée pour ramasser les papiers éparpillés sur le sol.
Elle avait un accent très reconnaissable : elle était française. Elle avait les cheveux longs et auburn, légèrement ondulés sur les pointes. Elle portait un pantalon et une veste noirs ainsi que de jolis escarpins beiges. Je me baissai pour l'aider à ramasser ses documents. Elle avait la tête baissée, je ne pouvais pas distinguer son visage.
- Je vous prie de m'excuser, je suis maladroite...
- Ce n'est rien, répondis-je.
En plus de son accent, elle avait des trémolos dans la voix. Elle pleurait.
- Ne vous inquiétez pas, dis-je alors que nous ramassions les dernières feuilles à nos pieds, il n'y a pas de mal.
Elle releva le visage en ma direction. Elle avait de magnifiques yeux bleus gris, embués de larmes. Son maquillage avait légèrement coulé. Elle avait une bouche fine et bien dessinée, un nez délicat et les pommettes hautes. Son regard ne croisa pas le mien immédiatement. Nous nous relevâmes.
- Merci pour votre aide, dit-elle en prenant les documents que je lui tendais, et pardonnez-moi.
- Ce n'est rien. J'espère que vous ne pleurez pas à cause de cette malheureuse petite collision.
- Non... dit-elle le visage toujours baissé, c'est une stupide peine de cœur qui me met dans cet état.
- C'est moi qui suis désolé.
Elle releva la tête pour la première fois et croisa mon regard. Elle fit un petit sourire triste et dit :
- C'est gentil...
Elle s'interrompit, surprise, puis reprit la parole :
- Nous nous connaissons !
Je ne la connaissait pas, non, mais elle m'avait reconnu. Je souris.
- Vous ne me connaissez pas, mais moi je vous connais ! Vous êtes le batteur de Rammstein.
- C'est bien ça, répondis-je sans trop savoir qu'ajouter.
Elle était très surprise et ne savait que dire elle non plus. Je la regardais avec attention et sa sensualité me percuta en plein cœur. Son air gêné ajoutait un petit quelque chose à sa beauté. Gêné par cette situation et son aura. Le mécanisme habituel de défense face à la gène se mit en œuvre, je ris. Elle aussi.
- Ne vous inquiétez pas, dit-elle, je ne vais pas vous embêter plus longtemps. Je suis en retard. Je suis ravie de vous avoir croisé...
Pour toute réponse je ne pu que sourire, j'étais tellement troublé.
- Je suis une auditrice assidue de votre groupe, je dois bien l'avouer. J'aurais aimé vous rencontrer dans un autre état d'esprit...
- Je...
Quel idiot ! Aucun mot ne sortait de ma bouche. J'aurais aimé lui dire que moi aussi j'étais ravie et que je ne voulais pas la laisser partir. Mais rien. J'étais incapable d'articuler quoi que ce soit.
- Au revoir, dit-elle.
Elle reprit sa course, ma laissant là, paralysé, le cœur battant et une érection pas possible dans mon jean. Le temps que je reprenne mes esprits elle avait disparu. J'étais triste, et en colère. Mais bordel, pourquoi l'avais-je laisser filer ! Résigné, j'allais reprendre ma route, quand j'aperçu une feuille sur le trottoir. Nous avions du oublié de la ramasser. Je le récupérai : c'était un papier à en-tête indiquant le Pergamon Museum et en dessous un nom : Louisa Grémillon. Un nom français. Ça ne pouvait être qu'elle ! La lettre, rédigée en anglais, était adressée à un musée de Los Angeles concernant le prêt d'une œuvre pour une exposition temporaire.
J'avais un moyen de la retrouver ! La tristesse de l'avoir laissé partir fit place à l'excitation. Je pliai la feuille en quatre et la glissai dans la poche intérieur de ma veste en cuir. Je repris mon chemin. Une demi-heure plus tard j'arrivais au studio.

15h30. Je traversais la cours du Pergamonmuseum jusqu'à l'immense hall d'entrée. J'avais des palpitations, j'étais excité. Je n'avais pas réfléchi à quoi que ce soit. La seule chose que j'avais à l'esprit : l'envie de la revoir. Son chagrin m'avait touché, sa sensualité m'avait carrément assommé.
La vérité c'est que je n'étais pas vraiment moi même, loin de mes principes, j'écoutais mon instinct, pour la première fois de ma vie je crois. Pourquoi ? J'en sais trop rien, mais cette jeune femme avait eu un effet absolument hypnotique. Les occasion de s'envoyer en l'air avec des fans c'est pas ce qui avait manqué ces deux dernière décennies, mais j'avais toujours été fidèle à celle que j'aimais. Sarah, pendant plus de dix ans, puis Carroll depuis quelques années. Je pouvais trouver une femme belle et désirable mais ça en restait à ce simple constat. J'avais des principes. La fidélité constitué le principe numéro un. Mais voilà que cette rencontre bouleversait mon existence.
Je passai la porte d'entrée et me dirigeai au bureau d'accueil du musée.
- Bonjour, j'aimerais voir Louisa Grémillon.
Mon accent français était au delà du pitoyable, j'avais carrément écorché son nom. La dame de l'accueil, la cinquantaine passée, décrocha le téléphone qui se trouvait sur son bureau. En tapant sur le chiffres de l'appareil elle me demanda :
- C'est de la part de qui, s'il vous plait ?
- Christoph Schneider.
Je souris en imaginant son visage à l'annonce de mon nom.
- Louisa va débuter une visité guidée dans cinq minutes. Soit vous l'attendez pendant une heure, soit vous prenez un ticket et vous suivez la visite.
- C'est elle que vous avez eu au téléphone ?
- Non, j'ai eu un de ces collègues.
- Je vais prendre un ticket.
- Rejoigniez le groupe là-bas, Louisa va arriver dans quelques minutes.
Je tendis le billet et pris le ticket.
- Merci.
Je me dirigeais vers les quelques personnes qui attendais à l'endroit indiqué. J'étais d'autant plus excité que j'allais lui faire une surprise. J'avais hâte de voir sa réaction.
Elle arriva au bout de quelques minutes d'attente. Elle avait arrangé son maquillage et ne semblait plus du tout bouleversée. Malgré son sourire, une lueur mélancolique hantait son regard. Elle dit bonjour à tout le groupe et ne me vie qu'après quelques seconde. Elle s'interrompit un instant, elle était très surprise. Je lui souris, elle me rendit un petit rire à la fois heureux et gêné puis baissa la tête. Elle se concentra à nouveau et commença la visite.
Pendant l'heure qui suivit je m'intéressais moyennement aux antiquités du musée, mais la créature qui nous les présentait était absolument captivante. Je ne m'en rendis pas compte immédiatement mais j'avais mis en marche mon numéro de charme. Tout en discrétion, tout dans le regard et le sourire. Je n'avais jamais été très sur de moi, mais avec l'âge, vous savez, on prend confiance, on sait ce qu'on vaut. Et la vérité c'est que j'avais du succès. Je ne parle pas des groupies, ça, ça ne compte pas. Je parle des femmes que je croisais et côtoyais en dehors de ce statut d'idole. Idole. C'était franchement ridicule !
Bref, cet après-midi là, dans le Pergamonmuseum, j'étais en chasse. Mais pas que. Il y avait une attirance sexuelle, c'était indéniable, mais un petit truc pinçait mon cœur, là, dans ma poitrine. C'est ce pincement qui me gênait, parce que face à cette Louisa mon cerveau rendait les armes : exit Carroll, exit le mariage.

Une heure de visite, une heure pendant laquelle je me laissais envahir par des sensations délicieuses, de fantasmes : ses traits, ses courbes, ses gestes, son odeur, son accent. Mon corps entier était entièrement tendu vers elle. Je ne réfléchissais pas, je me laissais guider. Par mon instinct.
Elle remercia le groupe et dit au revoir, puis se tourna vers moi. Je souris, je voulais la laisser parler en premier.
- Comment m'avez-vous retrouvé ? Demanda-t-elle.
- Vous avez oubliez ça ce matin, dis-je en lui tendant le document que j'avais gardé dans la poche de mon blouson.
- Oh ! S'exclama-t-elle, visiblement surprise. Il ne fallait pas vous donner cette peine...
- Je ne suis pas seulement venu pour vous rendre le document...
Elle resta une seconde interdite, puis elle rit.
- Comment étiez-vous sûr que ce document m'appartient ?
- C'est à dire que vous m'en avez fait ramasser une quantité ce matin dans la rue ! Si j'avais des doutes il y avait un nom français, ça ne pouvait être que vous.
- Mon accent est si flagrant ?!
Je ris.
- Vous parlez très bien allemand, l'accent vous donne un certain charme.
Elle baissa la tête et sourit. Je sentais qu'elle était un peu gênée, et flattée également.
- Ça vous dit d'aller boire un verre après le travail ?
- Comment pourrais-je refuser ! S'exclama-t-elle. Vous avez prit la peine de me ramener ce pauvre papier, c'est la moindre des choses. Et je m'en voudrai toute ma vie si je refusais : le batteur de Rammstein !
J'explosai de rire. Elle aussi.
- Puis j'ai vraiment besoin de me changer les idées... Si vous voulez bien m'attendre quelques minutes, je vais aller chercher mes affaires.

Une quart d'heure plus tard nous nous retrouvions dans le métro, direction le quartier du Mitte. J'aimais beaucoup cet endroit, cela me rappelait ma jeunesse, à l'époque où le Mur coupé la ville en deux. Là-bas, je choisi un petit café discret, histoire de ne pas me faire abordé par des fans, ce qui était absolument insupportable. Elle prit un thé, moi un café. Nous discutions. J'appréciais le fait qu'elle ne cherche rien à savoir sur les projets du groupe. Elle me demandait comment était Berlin, avant, ce que j'aimais dans cette ville... Bref, les minutes puis les heures passaient. Je me sentais bien, elle aussi, je crois.
J'en était à ma deuxième bière, elle sirotait un verre de vin rouge. L'alcool me donna du courage : je posais ma main sur la table près de la sienne et la caressait du bout de l'index. Elle ne s'interrompit pas mais je vis la surprise dans ces yeux. Elle ne retira pas sa main.
- Je suis désolée que vous m'ayez vu dans cet état ce matin...
- Ce n'est rien, je comprendre.
- C'était stupide de pleurer.
- Vous voulez me parler de cette « stupide peine de coeur » ? demandais-je.
Elle sourit.
- Non, je ne veux pas gâcher cette soirée. Autant oublier et se tourner vers les choses à venir.
Les choses à venir. Il me semblai qu'elle m'avait regardé plus intensément en disant ces mots. Je ne répondis rien, me contenant de la regarder dans les yeux. Silence. Je posai carrément ma main sur la sienne. Elle baissa les yeux et serra ma doigts. Je me jetai dans le vide, me penchant sur la petite tableau qui nous séparait. Elle releva son visage vers le mien et nos lèvres se rencontrèrent. Sa langue caressa doucement mes lèvres. Ce fut le baiser le plus intense de mon existence. Sa langue contre la mienne, son souffle, son odeur mirent tout me corps en émoi. Le frisson parcouru mon dos, mes membres et vint se loger au bas de mon ventre en un désir d'une intensité sans nom. Je ne voulais qu'elle, rien d'autre n'existait autour de nous, ni espace, ni temps, j'avais l'impression de naître au monde des sens.
Je payai le serveur et nous nous retrouvions dans la rue. Il faisait nuit. Elle prit ma main dans la sienne et m'entraina jusqu'à son appartement. Je ne savais plus où je me trouvais, je ne voyais qu'elle. Elle referma la porte derrière nous. Je plaquai mon corps tendu de désir contre le sien. Nos vêtements furent abandonnés sur le sol. Désir et plaisir guidèrent nos gestes tout au long de la nuit.

Je fus réveiller par le jour qui transperçait les rideaux clairs de la chambre. J'avais le dos tiède de Louisa contre mon torse. Elle dormait encore. Je pris une grande inspiration dans ses cheveux pour m'enivrer d'elle. J'aurais du me lever discrètement sans la réveiller, enfiler mes vêtements et fermer discrètement la porte de l'appartement derrière moi. C'était l'unique chose à faire. Je n'en avais pas envie.





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