Voici une nouvelle dans laquelle Schneider est le narrateur.
L'organisation du mariage me dépassait
complètement. Au delà de ça : ça me mettait sur les nerfs !
Carroll me prenait carrément la tête, je ne m'investissais pas
assez apparemment. Mais lorsque je donnais mon avis, l'idée était
systématiquement rejetée, j'avais mauvais goût, soit disant...
Très franchement j'en avais rien à foutre des fleurs, de la couleur
des serviette ou des du nombre d'invités par table. Mais il m'était
impossible de lui faire comprendre que je ne voulais qu'elle, dans
une petite mairie d'arrondissement, sans réception, sans personne,
seulement nous deux. La seule chose qui comptait était notre amour
l'un pour l'autre.
La veille au soir nous nous étions
une énième fois engueulés concernant je ne sait quoi pour la
réception, avant de nous réconcilier sur l'oreiller. Comme
toujours. Je venais de quitter l'appartement pour me rendre au
studio, à pied. Il me fallait une heure pour parcourir cette
distance, mais j'avais besoin de me vider l'esprit, de m'enivrer des
bruit de Berlin, de l'odeur des jonquilles qui ensoleillaient les
parcs, de sentir la chaleur printanière du soleil sur mon visage.
Je marchais depuis vingt minutes
peut-être, j'étais dans Museumsinsel quand c'est arrivé. Au détour
d'une rue quelqu'un me percuta alors qu'il était en pleine course.
Le choc fut assez violent et fit voler tout autour de nous des
documents que la jeune femme tenait dans les bras.
- Je suis vraiment désolée, dit-elle
déjà agenouillée pour ramasser les papiers éparpillés sur le
sol.
Elle avait un accent très
reconnaissable : elle était française. Elle avait les cheveux
longs et auburn, légèrement ondulés sur les pointes. Elle portait
un pantalon et une veste noirs ainsi que de jolis escarpins beiges.
Je me baissai pour l'aider à ramasser ses documents. Elle avait la
tête baissée, je ne pouvais pas distinguer son visage.
- Je vous prie de m'excuser, je suis
maladroite...
- Ce n'est rien, répondis-je.
En plus de son accent, elle avait des
trémolos dans la voix. Elle pleurait.
- Ne vous inquiétez pas, dis-je alors
que nous ramassions les dernières feuilles à nos pieds, il n'y a
pas de mal.
Elle releva le visage en ma direction.
Elle avait de magnifiques yeux bleus gris, embués de larmes. Son
maquillage avait légèrement coulé. Elle avait une bouche fine et
bien dessinée, un nez délicat et les pommettes hautes. Son regard
ne croisa pas le mien immédiatement. Nous nous relevâmes.
- Merci pour votre aide, dit-elle en
prenant les documents que je lui tendais, et pardonnez-moi.
- Ce n'est rien. J'espère que vous ne
pleurez pas à cause de cette malheureuse petite collision.
- Non... dit-elle le visage toujours
baissé, c'est une stupide peine de cœur qui me met dans cet état.
- C'est moi qui suis désolé.
Elle releva la tête pour la première
fois et croisa mon regard. Elle fit un petit sourire triste et dit :
- C'est gentil...
Elle s'interrompit, surprise, puis
reprit la parole :
- Nous nous connaissons !
Je ne la connaissait pas, non, mais
elle m'avait reconnu. Je souris.
- Vous ne me connaissez pas, mais moi
je vous connais ! Vous êtes le batteur de Rammstein.
- C'est bien ça, répondis-je sans
trop savoir qu'ajouter.
Elle était très surprise et ne
savait que dire elle non plus. Je la regardais avec attention et sa
sensualité me percuta en plein cœur. Son air gêné ajoutait un
petit quelque chose à sa beauté. Gêné par cette situation et son
aura. Le mécanisme habituel de défense face à la gène se mit en
œuvre, je ris. Elle aussi.
- Ne vous inquiétez pas, dit-elle, je
ne vais pas vous embêter plus longtemps. Je suis en retard. Je suis
ravie de vous avoir croisé...
Pour toute réponse je ne pu que
sourire, j'étais tellement troublé.
- Je suis une auditrice assidue de
votre groupe, je dois bien l'avouer. J'aurais aimé vous rencontrer
dans un autre état d'esprit...
- Je...
Quel idiot ! Aucun mot ne sortait
de ma bouche. J'aurais aimé lui dire que moi aussi j'étais ravie et
que je ne voulais pas la laisser partir. Mais rien. J'étais
incapable d'articuler quoi que ce soit.
- Au revoir, dit-elle.
Elle reprit sa course, ma laissant là,
paralysé, le cœur battant et une érection pas possible dans mon
jean. Le temps que je reprenne mes esprits elle avait disparu.
J'étais triste, et en colère. Mais bordel, pourquoi l'avais-je
laisser filer ! Résigné, j'allais reprendre ma route, quand
j'aperçu une feuille sur le trottoir. Nous avions du oublié de la
ramasser. Je le récupérai : c'était un papier à en-tête
indiquant le Pergamon Museum et en dessous un nom : Louisa
Grémillon. Un nom français. Ça ne pouvait être qu'elle ! La
lettre, rédigée en anglais, était adressée à un musée de Los
Angeles concernant le prêt d'une œuvre pour une exposition
temporaire.
J'avais un moyen de la retrouver !
La tristesse de l'avoir laissé partir fit place à l'excitation. Je
pliai la feuille en quatre et la glissai dans la poche intérieur de
ma veste en cuir. Je repris mon chemin. Une demi-heure plus tard
j'arrivais au studio.
15h30. Je traversais la cours du
Pergamonmuseum jusqu'à l'immense hall d'entrée. J'avais des
palpitations, j'étais excité. Je n'avais pas réfléchi à quoi que
ce soit. La seule chose que j'avais à l'esprit : l'envie de la
revoir. Son chagrin m'avait touché, sa sensualité m'avait carrément
assommé.
La vérité c'est que je n'étais pas
vraiment moi même, loin de mes principes, j'écoutais mon instinct,
pour la première fois de ma vie je crois. Pourquoi ? J'en sais
trop rien, mais cette jeune femme avait eu un effet absolument
hypnotique. Les occasion de s'envoyer en l'air avec des fans c'est
pas ce qui avait manqué ces deux dernière décennies, mais j'avais
toujours été fidèle à celle que j'aimais. Sarah, pendant plus de
dix ans, puis Carroll depuis quelques années. Je pouvais trouver une
femme belle et désirable mais ça en restait à ce simple constat.
J'avais des principes. La fidélité constitué le principe numéro
un. Mais voilà que cette rencontre bouleversait mon existence.
Je passai la porte d'entrée et me
dirigeai au bureau d'accueil du musée.
- Bonjour, j'aimerais voir Louisa
Grémillon.
Mon accent français était au delà
du pitoyable, j'avais carrément écorché son nom. La dame de
l'accueil, la cinquantaine passée, décrocha le téléphone qui se
trouvait sur son bureau. En tapant sur le chiffres de l'appareil elle
me demanda :
- C'est de la part de qui, s'il vous
plait ?
- Christoph Schneider.
Je souris en imaginant son visage à
l'annonce de mon nom.
- Louisa va débuter une visité
guidée dans cinq minutes. Soit vous l'attendez pendant une heure,
soit vous prenez un ticket et vous suivez la visite.
- C'est elle que vous avez eu au
téléphone ?
- Non, j'ai eu un de ces collègues.
- Je vais prendre un ticket.
- Rejoigniez le groupe là-bas, Louisa
va arriver dans quelques minutes.
Je tendis le billet et pris le ticket.
- Merci.
Je me dirigeais vers les quelques
personnes qui attendais à l'endroit indiqué. J'étais d'autant plus
excité que j'allais lui faire une surprise. J'avais hâte de voir sa
réaction.
Elle arriva au bout de quelques
minutes d'attente. Elle avait arrangé son maquillage et ne semblait
plus du tout bouleversée. Malgré son sourire, une lueur
mélancolique hantait son regard. Elle dit bonjour à tout le groupe
et ne me vie qu'après quelques seconde. Elle s'interrompit un
instant, elle était très surprise. Je lui souris, elle me rendit un
petit rire à la fois heureux et gêné puis baissa la tête. Elle se
concentra à nouveau et commença la visite.
Pendant l'heure qui suivit je
m'intéressais moyennement aux antiquités du musée, mais la
créature qui nous les présentait était absolument captivante. Je
ne m'en rendis pas compte immédiatement mais j'avais mis en marche
mon numéro de charme. Tout en discrétion, tout dans le regard et le
sourire. Je n'avais jamais été très sur de moi, mais avec l'âge,
vous savez, on prend confiance, on sait ce qu'on vaut. Et la vérité
c'est que j'avais du succès. Je ne parle pas des groupies, ça, ça
ne compte pas. Je parle des femmes que je croisais et côtoyais en
dehors de ce statut d'idole. Idole. C'était franchement ridicule !
Bref, cet après-midi là, dans le
Pergamonmuseum, j'étais en chasse. Mais pas que. Il y avait une
attirance sexuelle, c'était indéniable, mais un petit truc pinçait
mon cœur, là, dans ma poitrine. C'est ce pincement qui me gênait,
parce que face à cette Louisa mon cerveau rendait les armes :
exit Carroll, exit le mariage.
Une heure de visite, une heure pendant
laquelle je me laissais envahir par des sensations délicieuses, de
fantasmes : ses traits, ses courbes, ses gestes, son odeur, son
accent. Mon corps entier était entièrement tendu vers elle. Je ne
réfléchissais pas, je me laissais guider. Par mon instinct.
Elle remercia le groupe et dit au
revoir, puis se tourna vers moi. Je souris, je voulais la laisser
parler en premier.
- Comment m'avez-vous retrouvé ?
Demanda-t-elle.
- Vous avez oubliez ça ce matin,
dis-je en lui tendant le document que j'avais gardé dans la poche de
mon blouson.
- Oh ! S'exclama-t-elle,
visiblement surprise. Il ne fallait pas vous donner cette peine...
- Je ne suis pas seulement venu pour
vous rendre le document...
Elle resta une seconde interdite, puis
elle rit.
- Comment étiez-vous sûr que ce
document m'appartient ?
- C'est à dire que vous m'en avez
fait ramasser une quantité ce matin dans la rue ! Si j'avais
des doutes il y avait un nom français, ça ne pouvait être que
vous.
- Mon accent est si flagrant ?!
Je ris.
- Vous parlez très bien allemand,
l'accent vous donne un certain charme.
Elle baissa la tête et sourit. Je
sentais qu'elle était un peu gênée, et flattée également.
- Ça vous dit d'aller boire un verre
après le travail ?
- Comment pourrais-je refuser !
S'exclama-t-elle. Vous avez prit la peine de me ramener ce pauvre
papier, c'est la moindre des choses. Et je m'en voudrai toute ma vie
si je refusais : le batteur de Rammstein !
J'explosai de rire. Elle aussi.
- Puis j'ai vraiment besoin de me
changer les idées... Si vous voulez bien m'attendre quelques
minutes, je vais aller chercher mes affaires.
Une quart d'heure plus tard nous nous
retrouvions dans le métro, direction le quartier du Mitte. J'aimais
beaucoup cet endroit, cela me rappelait ma jeunesse, à l'époque où
le Mur coupé la ville en deux. Là-bas, je choisi un petit café
discret, histoire de ne pas me faire abordé par des fans, ce qui
était absolument insupportable. Elle prit un thé, moi un café.
Nous discutions. J'appréciais le fait qu'elle ne cherche rien à
savoir sur les projets du groupe. Elle me demandait comment était
Berlin, avant, ce que j'aimais dans cette ville... Bref, les minutes
puis les heures passaient. Je me sentais bien, elle aussi, je crois.
J'en était à ma deuxième bière,
elle sirotait un verre de vin rouge. L'alcool me donna du courage :
je posais ma main sur la table près de la sienne et la caressait du
bout de l'index. Elle ne s'interrompit pas mais je vis la surprise
dans ces yeux. Elle ne retira pas sa main.
- Je suis désolée que vous m'ayez vu
dans cet état ce matin...
- Ce n'est rien, je comprendre.
- C'était stupide de pleurer.
- Vous voulez me parler de cette
« stupide peine de coeur » ? demandais-je.
Elle sourit.
- Non, je ne veux pas gâcher cette
soirée. Autant oublier et se tourner vers les choses à venir.
Les choses à venir. Il me semblai
qu'elle m'avait regardé plus intensément en disant ces mots. Je ne
répondis rien, me contenant de la regarder dans les yeux. Silence.
Je posai carrément ma main sur la sienne. Elle baissa les yeux et
serra ma doigts. Je me jetai dans le vide, me penchant sur la petite
tableau qui nous séparait. Elle releva son visage vers le mien et
nos lèvres se rencontrèrent. Sa langue caressa doucement mes
lèvres. Ce fut le baiser le plus intense de mon existence. Sa langue
contre la mienne, son souffle, son odeur mirent tout me corps en
émoi. Le frisson parcouru mon dos, mes membres et vint se loger au
bas de mon ventre en un désir d'une intensité sans nom. Je ne
voulais qu'elle, rien d'autre n'existait autour de nous, ni espace,
ni temps, j'avais l'impression de naître au monde des sens.
Je payai le serveur et nous nous
retrouvions dans la rue. Il faisait nuit. Elle prit ma main dans la
sienne et m'entraina jusqu'à son appartement. Je ne savais plus où
je me trouvais, je ne voyais qu'elle. Elle referma la porte derrière
nous. Je plaquai mon corps tendu de désir contre le sien. Nos
vêtements furent abandonnés sur le sol. Désir et plaisir guidèrent
nos gestes tout au long de la nuit.
Je fus réveiller par le jour qui
transperçait les rideaux clairs de la chambre. J'avais le dos tiède
de Louisa contre mon torse. Elle dormait encore. Je pris une
grande inspiration dans ses cheveux pour m'enivrer d'elle. J'aurais
du me lever discrètement sans la réveiller, enfiler mes vêtements
et fermer discrètement la porte de l'appartement derrière moi.
C'était l'unique chose à faire. Je n'en avais pas envie.
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