vendredi 23 janvier 2015

Une inconnue

J'ai laissé ce blog en friche depuis quelques mois. Par manque de temps. Aussi parce que j'ai choisi de complètement réécrire la fin de Nur Götter dürfen uns berühren. Elle viendra. Promis.
En attendant je vous propose cette petite nouvelle. Le nom d'aucun personnage n'est cité dans cette histoire, à vous de choisir qui est le narrateur. Bonne lecture et à bientôt.



J'ai encore du mal à croire que je l'ai réellement vu ce soir. Je repasse encore et encore les quelques secondes dans ma tête, comme s'il s'agissait d'une hallucination.
Il fait chaud dans ma chambre. Allongé en caleçon sur mon lit, je fixe le plafond. La lumière du lampadaire filtrée par le store dessine des rayures sur le mur. Le décor de la pièce s'éloigne et mon esprit se fixe sur cet instant qui s'est déroulé il y a seulement quelques minutes. Je sais que c'était elle. C'est un signe du destin. Je ne prends jamais le métro, je voyage toujours en taxi dans Berlin. En sortant du restaurant après avoir quitté mon ami ce soir, je me suis dirigé vers l'entrée du U-Bahn. Un peu sans y penser, juste comme ça. J'ai acheté mon ticket, j'ai attendu quelques minutes et je suis monté dans la rame entrant en station. C'est là que je l'ai aperçu. Elle était debout sur le quai à quelque mètres en face de moi. Peut-être me regardait-elle ? Tout du moins elle regardait dans direction. Instantanément une étincèle s'est éclairée dans mon cerveau. Les portent se sont refermées alors que je réalisais vraiment. Je n'ai pas pu sortir. Le métro a démarré, et il me semble qu'elle m'a suivi du regard jusqu'à de que je disparaissent dans les ténèbres.

Il s'en est passé des années depuis notre première rencontre. J'ai pensé à elle si souvent. Pas tous les jours, mais presque. Surtout dans les moments de solitude et de mélancolie. Comment aurais-je pu l'oublier ? C'est une de ces rencontres qui marquent un existence. Pas par des faits grandiloquents, juste par un mot, un regard, une attitude.

C'était à Moscou, en 2004 ou 2005, je ne me souviens plus vraiment. Pendant cette tournée, je peux dire qu'on s'était vraiment lâché tous les six. Je suis bien incapable de dire avec combien de jeunes femmes j'ai couché au cours de cette tournée. Au moins une par soir, parfois deux. Je n'en suis vraiment pas fière. J'ai toujours essayé d'être fidèle à mes principes dans la vie. Et ce côté sulfureux de notre métier - les groupies, l'alcool, la drogue - j'ai toujours vécu ça de manière paradoxale. Ce sont des attitudes que je condamne, mais auxquelles je cède toujours avec délice et douleur.
Alors ce soir là, à Moscou, j'avais encore rencontré bon nombre de jeunes femmes à la soirée organisée après le concert. Mais j'étais de mauvais humeur et je n'avais aucune envie de faire un effort pour comprendre l'anglais approximatif des jolies fans autour de moi. Je m'étais assis au bar, tournant le dos à la salle. Il y avait quelques vers vides et une bouteille de vodka devant moi.
Elle s'est assise à côté de moi. J'ai immédiatement été interpellé par son parfum poudré. J'ai lancé un regard en biais dans sa direction. Bien évidemment, j'ai immédiatement été séduit par sa silhouette et son profil. J'ai alors carrément tourné la tête pour l'observé plus en détail et découvrir ses yeux gris, son petit nez légèrement retroussé et sa bouche délicate. À son tour, sans tourner la tête, elle lança un regard dans ma direction. Ses yeux se posèrent à nouveau devant elle. Elle sourit légèrement. Impoli, je continuais à la dévisager.
- Vous comptez me regarder de cette manière sans m'adresser la parole encore combien de temps ? Cela devient presque gênant...
Elle s'était adressée à moi dans un allemand impeccable, sans accent.
J'eus un petit rire. Elle se tourna vers moi et me tendis la main. Je la serrai.
- J'imagine que vous n'avais pas très envie de parler de cela, mais le concert était incroyable.
Une fan, donc. Elle souriait toujours. J'ouvris enfin la bouche.
- Une vodka ?
Elle acquiesça de la tête et je lui servi un verre. Je trinquais avec elle et nous bûmes nos verres d'un trait. Elle fit une légère grimace qui me fit sourire.
- Tu ne peux pas savoir comme cela me fait plaisir que tu parles allemand.
- J'avoue que j'avais tout misé là-dessus pour t'aborder, répondit-elle avant de se mordre la lèvre.
Je la regardais dans les yeux et elle soutenait mon regard, sans ciller. J'avais envie d'elle. Si bien que c'est moi qui baissa le regard en premier.
- Tu m'emmènes boire un verre dans un endroit plus calme ?
- Bien-sûr que oui.
Juste devant l'entrée du club deux voitures avec chauffeurs étaient à la disposition du groupe. J'ouvris la portière à la magnifique créature qui m'accompagnait.
- Où va-t-on ? Demandai-je.
- Je ne connais pas Moscou...
Je ris.
- Le seul endroit que je connais pour aller boire un verre c'est le bar de mon hôtel.
- J'imagine que ce sera parfait.
La voiture démarra et je ne perdis pas une minute pour l'embrasser. La température montait déjà dans l'habitable.
Quelques instant plus tard nous nous retrouvions dans la chambre d'hôtel. Alors que nos caresses devenaient de plus en plus brulantes, je fis ce que je fais toujours lorsque je me retrouve sur le point de coucher avec une groupie. Je demandai :
- Comment t'appelles-tu ?
- Peu importe.
J'arrêtai immédiatement mes gestes.
- Bien sûr que si cela importe.
- Vraiment ?
Je ne répondis rien.
- Je ne suis pas naïve, tu sais. Je sais bien que je suis un simple chiffre sur une liste. Tu oublieras mon nom quelques instants après l'avoir entendu. Demain matin te ne te souviendras plus du goût de ma peau ni de mes baisers. Et dans quelques jours, je ne serai même plus un vague souvenir, tu me confondras avec les centaines de fans auxquelles tu auras fait l'amour. Alors je t'assure, peu importe mon nom. J'ai envie de rester une inconnue ce soir.
L'exactitude de ses paroles me touchèrent en plein cœur. Bien évidement que j'oubliais leurs noms à l'instant même où elles me les disaient. Et oui, ces filles devenaient une sorte de vague souvenir, j'oubliais les visages, les parfums, les courbes. Ne restait en moi que la sensation du désir assouvi. Alors que je réalisai cela mon désir pour elle fut décuplé. Je ne sais pas pourquoi, mais mon sang se mit à bouillir et mon envie d'elle devenait presque douloureuse. Je voulais lui faire l'amour pour qu'elle ne puisse jamais m'oublier.
Je plaquai tout mon corps contre le sien, posai une main sur sa nuque et l'autre sur ses fesses. Elle m'embrassa avec passion, mangeant mes lèvres, plantant ses doigt dans mon dos. Aussi paradoxal que cela puisse paraître plus mon désir augmentait, plus je prenais mon temps. Je savourais chacun de nos gestes. Je lui retirais ses vêtements tout doucement : chacune des parties de son corps étaient découvertes comme une surprise au matin de Noël. Dix ans après, je me rappelle d'absolument tout. Son parfum poudré, ses baisers sucrés, sa peau épicée. Je revois le grain de beauté sur son épaule et un autre dans le creux de sa hanche. Apparaissent devant moi ses deux jolis seins tendus vers moi. Je sens encore la chaleur humide de son sexe, les mouvements voluptueux de ses hanches, la douceur de ses mains., la caresse de ses longs cheveux sur mon visage. Je me revois me noyer dans le ciel orageux de ses yeux.
Chaque geste, chaque sensation, le plaisir absolu, tout est resté gravé avec une parfaite netteté dans ma mémoire. Je ne l'ai jamais oublié et je ne le pourrai jamais. Toutes les autres, les centaines d'autres, toutes celles qui m'ont donné leurs noms sont, comme elle l'a si bien deviné, une sorte de vague souvenir, des corps moites sans visage. Je me souviens seulement de cette inconnue, qui n'a jamais voulu me donner son nom.


Ce soir, dans mon lit, ce souvenir m'empêche de dormir. Je dois retourner à la station de métro. J'attendrai le temps qu'il faudra. Des heures, des jours s'il le faut. Elle finira bien par repasser par là. Je ne veux pas connaître son nom, je voudrais seulement un instant m'enivrer à nouveau de cette inconnue.