En attendant je vous propose cette petite nouvelle. Le nom d'aucun personnage n'est cité dans cette histoire, à vous de choisir qui est le narrateur. Bonne lecture et à bientôt.
J'ai encore du mal à croire que je
l'ai réellement vu ce soir. Je repasse encore et encore les quelques
secondes dans ma tête, comme s'il s'agissait d'une hallucination.
Il fait chaud dans ma chambre. Allongé
en caleçon sur mon lit, je fixe le plafond. La lumière du
lampadaire filtrée par le store dessine des rayures sur le mur. Le
décor de la pièce s'éloigne et mon esprit se fixe sur cet instant
qui s'est déroulé il y a seulement quelques minutes. Je sais que
c'était elle. C'est un signe du destin. Je ne prends jamais le
métro, je voyage toujours en taxi dans Berlin. En sortant du
restaurant après avoir quitté mon ami ce soir, je me suis dirigé
vers l'entrée du U-Bahn. Un peu sans y penser, juste comme ça. J'ai
acheté mon ticket, j'ai attendu quelques minutes et je suis monté
dans la rame entrant en station. C'est là que je l'ai aperçu. Elle
était debout sur le quai à quelque mètres en face de moi.
Peut-être me regardait-elle ? Tout du moins elle regardait dans
direction. Instantanément une étincèle s'est éclairée dans mon
cerveau. Les portent se sont refermées alors que je réalisais
vraiment. Je n'ai pas pu sortir. Le métro a démarré, et il me
semble qu'elle m'a suivi du regard jusqu'à de que je disparaissent
dans les ténèbres.
Il s'en est passé des années depuis
notre première rencontre. J'ai pensé à elle si souvent. Pas tous
les jours, mais presque. Surtout dans les moments de solitude et de
mélancolie. Comment aurais-je pu l'oublier ? C'est une de ces
rencontres qui marquent un existence. Pas par des faits
grandiloquents, juste par un mot, un regard, une attitude.
C'était à Moscou, en 2004 ou 2005, je
ne me souviens plus vraiment. Pendant cette tournée, je peux dire
qu'on s'était vraiment lâché tous les six. Je suis bien incapable
de dire avec combien de jeunes femmes j'ai couché au cours de cette
tournée. Au moins une par soir, parfois deux. Je n'en suis vraiment
pas fière. J'ai toujours essayé d'être fidèle à mes principes
dans la vie. Et ce côté sulfureux de notre métier - les groupies,
l'alcool, la drogue - j'ai toujours vécu ça de manière
paradoxale. Ce sont des attitudes que je condamne, mais auxquelles je
cède toujours avec délice et douleur.
Alors ce soir là, à Moscou, j'avais
encore rencontré bon nombre de jeunes femmes à la soirée organisée
après le concert. Mais j'étais de mauvais humeur et je n'avais
aucune envie de faire un effort pour comprendre l'anglais
approximatif des jolies fans autour de moi. Je m'étais assis au bar,
tournant le dos à la salle. Il y avait quelques vers vides et une
bouteille de vodka devant moi.
Elle s'est assise à côté de moi.
J'ai immédiatement été interpellé par son parfum poudré. J'ai
lancé un regard en biais dans sa direction. Bien évidemment, j'ai
immédiatement été séduit par sa silhouette et son profil. J'ai
alors carrément tourné la tête pour l'observé plus en détail et
découvrir ses yeux gris, son petit nez légèrement retroussé et sa
bouche délicate. À son tour, sans tourner la tête, elle lança un
regard dans ma direction. Ses yeux se posèrent à nouveau devant
elle. Elle sourit légèrement. Impoli, je continuais à la
dévisager.
- Vous comptez me regarder de cette
manière sans m'adresser la parole encore combien de temps ?
Cela devient presque gênant...
Elle s'était adressée à moi dans un
allemand impeccable, sans accent.
J'eus un petit rire. Elle se tourna
vers moi et me tendis la main. Je la serrai.
- J'imagine que vous n'avais pas très
envie de parler de cela, mais le concert était incroyable.
Une fan, donc. Elle souriait toujours.
J'ouvris enfin la bouche.
- Une vodka ?
Elle acquiesça de la tête et je lui
servi un verre. Je trinquais avec elle et nous bûmes nos verres d'un
trait. Elle fit une légère grimace qui me fit sourire.
- Tu ne peux pas savoir comme cela me
fait plaisir que tu parles allemand.
- J'avoue que j'avais tout misé
là-dessus pour t'aborder, répondit-elle avant de se mordre la
lèvre.
Je la regardais dans les yeux et elle
soutenait mon regard, sans ciller. J'avais envie d'elle. Si bien que
c'est moi qui baissa le regard en premier.
- Tu m'emmènes boire un verre dans un
endroit plus calme ?
- Bien-sûr que oui.
Juste devant l'entrée du club deux
voitures avec chauffeurs étaient à la disposition du groupe.
J'ouvris la portière à la magnifique créature qui m'accompagnait.
- Où va-t-on ? Demandai-je.
- Je ne connais pas Moscou...
Je ris.
- Le seul endroit que je connais pour
aller boire un verre c'est le bar de mon hôtel.
- J'imagine que ce sera parfait.
La voiture démarra et je ne perdis pas
une minute pour l'embrasser. La température montait déjà dans
l'habitable.
Quelques instant plus tard nous nous
retrouvions dans la chambre d'hôtel. Alors que nos caresses
devenaient de plus en plus brulantes, je fis ce que je fais toujours
lorsque je me retrouve sur le point de coucher avec une groupie. Je
demandai :
- Comment t'appelles-tu ?
- Peu importe.
J'arrêtai immédiatement mes gestes.
- Bien sûr que si cela importe.
- Vraiment ?
Je ne répondis rien.
- Je ne suis pas naïve, tu sais. Je
sais bien que je suis un simple chiffre sur une liste. Tu oublieras
mon nom quelques instants après l'avoir entendu. Demain matin te ne
te souviendras plus du goût de ma peau ni de mes baisers. Et dans
quelques jours, je ne serai même plus un vague souvenir, tu me
confondras avec les centaines de fans auxquelles tu auras fait
l'amour. Alors je t'assure, peu importe mon nom. J'ai envie de rester
une inconnue ce soir.
L'exactitude de ses paroles me
touchèrent en plein cœur. Bien évidement que j'oubliais leurs noms
à l'instant même où elles me les disaient. Et oui, ces filles
devenaient une sorte de vague souvenir, j'oubliais les visages, les
parfums, les courbes. Ne restait en moi que la sensation du désir
assouvi. Alors que je réalisai cela mon désir pour elle fut
décuplé. Je ne sais pas pourquoi, mais mon sang se mit à bouillir
et mon envie d'elle devenait presque douloureuse. Je voulais lui
faire l'amour pour qu'elle ne puisse jamais m'oublier.
Je plaquai tout mon corps contre le
sien, posai une main sur sa nuque et l'autre sur ses fesses. Elle
m'embrassa avec passion, mangeant mes lèvres, plantant ses doigt
dans mon dos. Aussi paradoxal que cela puisse paraître plus mon
désir augmentait, plus je prenais mon temps. Je savourais chacun de
nos gestes. Je lui retirais ses vêtements tout doucement :
chacune des parties de son corps étaient découvertes comme une
surprise au matin de Noël. Dix ans après, je me rappelle
d'absolument tout. Son parfum poudré, ses baisers sucrés, sa peau
épicée. Je revois le grain de beauté sur son épaule et un autre
dans le creux de sa hanche. Apparaissent devant moi ses deux jolis
seins tendus vers moi. Je sens encore la chaleur humide de son sexe,
les mouvements voluptueux de ses hanches, la douceur de ses mains.,
la caresse de ses longs cheveux sur mon visage. Je me revois me noyer
dans le ciel orageux de ses yeux.
Chaque geste, chaque sensation, le
plaisir absolu, tout est resté gravé avec une parfaite netteté
dans ma mémoire. Je ne l'ai jamais oublié et je ne le pourrai
jamais. Toutes les autres, les centaines d'autres, toutes celles qui
m'ont donné leurs noms sont, comme elle l'a si bien deviné, une
sorte de vague souvenir, des corps moites sans visage. Je me souviens
seulement de cette inconnue, qui n'a jamais voulu me donner son nom.
Ce soir, dans mon lit, ce souvenir
m'empêche de dormir. Je dois retourner à la station de métro.
J'attendrai le temps qu'il faudra. Des heures, des jours s'il le
faut. Elle finira bien par repasser par là. Je ne veux pas connaître
son nom, je voudrais seulement un instant m'enivrer à nouveau de
cette inconnue.