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Quelques jours plus tard nous étions
de retour à Berlin. Je retrouvai Schneider dans un bar. Il me sembla
qu'il était mieux qu'il y a quelques semaines. Je n'aurais jamais
cru qu'il vive les choses aussi mal : le départ de Till, la fin
de Rammstein lui coutait une dose d'antidépresseurs quotidienne.
Heureusement qu'il avait sa fille, elle lui permettait de tenir la
tête hors de l'eau.
- Comment va Lou ? Demanda-t-il.
- Il me semble la voir sourire de
temps en temps. Reprendre le travail lui a fait du bien. Tu devrais
passer la voir à la maison d'ailleurs, ça lui ferait très plaisir.
- À la maison, répéta Schneider.
Alors tu reste toujours vivre chez elle.
Je ne parvins pas à savoir s'il
s'agissait d'un reproche ou d'une simple remarque. Il se montrait
moins acerbe depuis quelques temps.
- Ouais, elle n'arrive pas à rester
seule, et moi j'ai besoin de sa présence aussi.
- Alors la rupture avec Nina est
définitive ?
Une fois encore il touchait là où ça
fait mal.
- Elle m'a posé un ultimatum, j'ai
fais mon choix.
Il eut son fameux sourire ironique.
- On est mal barré mon pauvre
Richard ! Rien que des pauvres vieux qui viennent de se faire
larguer.
- Quoi ! M'exclamai-je.
- Sarah est partie, elle demande le
divorce.
- Merde...
- Je le comprends, vivre avec un
dépressif comme moi. Je suis absolument insupportable au quotidien,
je n'arrive pas à remonter la pente. Puis, je crois aussi qu'elle a
rencontré quelqu'un d'autre.
- Vraiment ?
- Concrètement je n'en sais rien,
mais j'ai l'impression qu'elle culpabilise. Elle est d'accord pour la
garde partagée d'Anne.
- Je suis désolé.
- Ouais...
Flake nous avait rejoint. Il essayait
de nous remonter le moral. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi
il se montrait aussi combatif.
- Relance toi dans Emigrate, me
dit-il. On veut bien y collaborer. Il faut absolument qu'on se
remette à faire de la musique. C'est notre porte de sortie, ça l'a
toujours été.
Je savais à quel point il avait
raison, mais je ne voyais pas comment nous cinq pouvions faire un
groupe, de la musique sans Till.
- Ecoute, reprit Flake, je sais à
quel point c'est difficile d'admettre pour chacun d'entre nous, mais
Rammstein est définitivement terminé. Il faut qu'on tourne la page,
qu'on renaisse de nos cendres. Faire comme on l'a toujours fait :
faire naître quelque chose de notre chagrin Emigrate me semble la
meilleurs solution.
- Il a raison dit Schneider. Emigrate
c'est la meilleure chose à faire. Sans Till, sans Rammstein on est
véritablement des émigrés maintenant.
Nous nous regardâmes tous les trois
avant d'exploser de rire.
- Tu vois, si Schneider commence à
faire de la poésie, c'est signe qu'on a toucher le fond et qu'il est
temps de remonter !
- J'ai encore besoin de temps, dis-je.
- Tu en as encore du temps, dit
Schneider. Il faudra convaincre Ollie et attendre que Paul sorte de
sa cure.
Paul. Il avait vraiment péter les
plombs. Enfin pas d'un coup, doucement, mais surement, comme on dit.
Depuis la nouvelle de la maladie de Till il avait prit l'habitude de
boire, et après son départ ça avait empiré. Sa femme lui avait
posé un ultimatum : la cure de désintox ou elle se barrait. Il
l'aimait trop pour la perdre, il avait choisi la cure. Il y était
depuis bientôt trois mois. Nous allions le voir toutes les semaines.
Malgré son éternel sourire, malgré son sevrage, il avait du mal à
faire son deuil et se sentait trop fragile pour retourner à la vie
normale.
Quant à Ollie, comme toujours il
n'avait rien laissé paraître de sa peine. Pourtant nous savions
tous à quel point il avait été touché, nous l'avions vu lors de
la cérémonie... Mais je ne voulais pas penser à ça, pas ce soir.
Schneider, Flake et moi, autour d'une bière, essayions d'entrevoir
l'avenir.
L'avenir. Lou le tenait dans ses bras
lorsque je rentrai à l'appartement. Elle pleurait en silence, tenant
son fils contre elle, le regardant. Je vins m'assoir à côté d'elle
et passai mon bras autour de ses épaules.
- Ce qu'il lui ressemble, me dit-elle.
Oui, Adam était le reflet de son
père. Il s'endormais doucement sous le regard humide de sa mère.
Sous mon regard à moi, plein d'espoir, malgré la peine. Nous ne
pouvions plus regarder en arrière, ne serait-ce que pour Adam. Il ne
pourrait pas pleurer un passé qu'il ne connu pas. On se devait, nous
tous, dans le souvenir de son père, le porter vers l'avenir, se
montrer fort. Ce petit être c'était le symbole de notre avenir.
- Demain nous irons voir Paul et nous
emmènerons Adam, dis-je.
J'étais sûr qu'Adam aurait sur Paul
le même effet qu'il avait sur moi à cet instant.
Lou hocha la tête en signe
d'approbation.
Comme chaque soir Lou avait fini par
s'endormir à mes côtés. Les somnifères n'étaient pas une
véritable solution, mais j'imagine que c'était mieux pour elle
d'être plongée quelques heures dans le néant. Je me plongeais à
nouveau dans l'écriture de Till.
Le lendemain, nous étions attablés à
la terrasse d'une brasserie. Deux adolescentes me regardaient en
pouffant, j'attendais avec agacement le moment où l'une d'elles
allait avoir le courage de s'approcher. Lou rit beaucoup face à mon
agacement.
- Je sais que tu ne trouve pas cela
très drôle, je suis désolée...
- Ca te fait rire, c'est au moins une
point positif, dis-je.
Les deux jeunes filles s'étaient
enfin décidées et s'approchèrent, s'excusant mais elles étaient
de grandes fans et elles auraient aimé faire une photo avec moi. Je
pris la décision d'être gentil et acceptai.
- Voilà pourquoi je déteste la
ville, déclarai-je une fois les deux adolescentes parties.
- Dis-toi que tu viens de réaliser
leur rêve et ensoleiller leur journée.
En public, Lou était distante
physiquement. Je n'avais qu'une envie, la prendre par la taille, lui
caresser la main, mais je savais qu'il valait mieux ne rien laisser
paraître.
Alors que je payais l'addition, mon
téléphone vibra dans ma poche. C'était un message de Nele.
- Ma fille veut me voir, elle a
quelque chose à m'annoncer, dis-je à Lou.
- Je vais te laisser alors. Je dois
rejoindre James à la galerie de toute façon.
Elle ne m'embrassa pas, se contentant
d'un sourire. La silhouette me tourna le dos et je me laissai
hypnotiser quelques seconde par le balancement es ses hanches,
jusqu'à ce qu'elle tourne le coin de la rue.
Je me souviendrai toute ma vie de
cette scène dans les moindres détails. La lumière de la montée
d'escaliers, le jean troué aux genoux et le chemisier vert que
portait Nele, l'odeur du gateau aux pommes qui sortait juste du four.
- Salut papa ! Me lança Nele en
ouvrant la porte.
- Bonjour répondis-je en la serrant
dans mes bras.
Elle fit du café en discutant de tout
et de rien. Une fois assise en face de moi sur un fauteuil je lui
demandais :
- Alors qu'as-tu à ma dire ?
- Tu vas être grand-père,
annonça-t-elle »
La surprise me paralysa une seconde,
puis je me levai d'un bon pour prendre ma fille dans les bras. Mon
bébé allait devenir maman, c'était incroyable. J'étais heureux
pour ma fille, elle qui m'avait si souvent dit qu'elle voulait un
enfant. J'avoue que cela me donnait également le vertige, une petite
angoisse. Allait-elle s'en sortir ? Je crois qu'elle comprit mon
inquiétude et me dit en riant :
- Tu t'en es bien sorti toi.
Vingt heures trente, chez Paul, le
groupe au complet. Je venais de leur annoncer que j'allais être
grand-père. Ils me firent tous une accolade ou m'embrassèrent pour
me féliciter. Avec son enthousiasme habituel Paul avait crié
« Champagne ! » et s'était précipiter dans la
cuisine pour prendre une bouteille.
Ce fut une bonne soirée entre amis.
Nous parlions de nos idées pour la future tournée, de nos vie, de
nos enfants.
Plus tard je me retrouvai seul avec
Flake dans la cuisine.
- Quel coup de vieux Till ! me
dit-il. Tu vas être grand-père, je n'y crois pas !
- Je n'en reviens pas moi-même !
C'est tellement bizarre. Ma petite Nele avec un bébé...
- Pas si petite que cela, elle a
bientôt trente ans !
Nous discutions tout les deux depuis
un petit moment déjà. Je décidai de lui parler de Lou. Flake avait
une capacité d'observation incroyable, il aurait deviné
immédiatement en me voyant auprès d'elle et on avait programmé une
séance photos pour la pochette du nouveau single la semaine
suivante.
- Flake, il faut que je te dise un
truc. Je préfère que cela reste entre nous pour le moment.
- Je t'écoute.
- J'ai couché avec Lou.
Moment de blanc. Flake semblait
réfléchir à la réaction qu'il devait avoir. Il n'arrivait pas à
se décider.
- C'est du sérieux, ou c'est juste un
coup comme ça ? me demanda-t-il.
- J'en sais trop rien, cela vient
juste de se produire.
- Oui, mais toi, comment tu considères
cela ?
À mon tour je ne su que répondre. Je
ne voulais pas que ce soit « un coup comme ça ». Je
ressentais des choses pour Lou, quelque chose de nouveau. Je le dis
Flake.
- Mon pauvre vieux, j'ai l'impression
que tu viens de tomber amoureux pour la première fois de ta vie!
s'exclama-t-il en ma tapant sur l'épaule.
- Non.
- Écoute, vois comment tout cela
évolue. Si ça devient sérieux il faudra le dire aux autres. On est
amenée à travailler avec elle encore quelques temps, elle doit
réaliser un autre clip et partir en tournée avec nous...
- Je sais.
Deux heures du matin, je décidai de
rentrer. Schneider et Ollie étaient partis depuis quelques minutes
et la femme de Paul venait de rentrer. Flake et Richard étaient
venus ensemble avec la voiture de ce dernier, les deux avaient trop
bu pour conduire. Je proposai de prendre le volant. Je déposais
d'abord Flake, puis Richard qui dormais place passager. Arrêté
devant chez lui je lui tapai sur l'épaule :
- On est arrivé mon vieux.
- Ah ouais... il défit sa ceinture de
sécurité. Rentre chez toi avec ma bagnole, je la récupèrerai plus
tard.
- C'est sympa, merci.
Il descendit de la voiture et claqua
la portière. Alors que j'allais enclencher la première pour
repartir, il toqua au carreau. Je fit descendre la vitre.
- Till, je te demande qu'une chose :
ne lui fais pas de mal.
Il tourna les talons.